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Votre droit d’accès aux données publiques

What Do They Know
What Do They Know? (My Society)

Les administrations parlent beaucoup de données ouvertes (Open Data). Pourtant, des gigaoctets de données publiques restent encore cachées dans les serveurs de l’administration. Légalement, vous avez le droit d’y accéder librement. Dans les faits, c’est plus compliqué. Voici quelques conseils.

Tâter le terrain

Les administrations possèdent d’immenses réserves de données, qu’elles utilisent pour mener les politiques publiques ou pour le bon fonctionnement de leurs services. Que vous travailliez sur les opérations extérieures de la France ou sur les écoles primaires dans les Deux-Sèvres, le secteur public regorge de données qui peuvent nourrir vos enquêtes. Les administrations communiquent régulièrement avec des données, mais ne publient la plupart du temps que des informations agrégées au niveau national, sur une année ou un point précis. Or le plus souvent, elles disposent des données détaillées qui vous permettront de creuser un sujet et d’y trouver de nouveaux angles.

En France, les préfectures sont en général responsables de la collecte des données. Les ministères ou l’INSEE ne font que les agréger et les mettre en forme. Parfois, seules les préfectures possèdent les données au niveau communal, et font remonter aux ministères des données agrégées au niveau du département.

Pour connaître les données dont dispose une administration, le plus simple est encore de prendre son téléphone. En discutant avec le personnel en charge des statistiques et des systèmes d’information, vous saurez comment les données sont stockées, quels sont leur structure et leur format, et comment elles peuvent être extraites.

Parfois, les administrations locales utilisent toutes la même version d’un logiciel pour collecter certaines données. C’est le cas par exemple d’AGRIPPA, utilisé dans la quasi totalité des préfectures pour saisir le nombre de permis de détention d’arme accordés. En revanche, pour les horaires d’ouverture des pharmacies de garde (également une prérogative préfectorale), aucune cohérence n’existe entre départements.

Une fois que vous avez cerné les contours de ce qu’il était possible d’obtenir, vous pouvez effectuer votre requête formelle auprès de l’administration.

Être précis

Le plus souvent, les demandes d’information sont refusées car elles nécessitent un « traitement informatique qui dépasse une tâche usuelle » de l’administration. Il est donc indispensable d’être certain que les informations demandées peuvent être obtenues en quelques clics et qu’elles ne demandent pas des heures de traitement.

Dans la plupart des pays de l’OCDE, les administrations facturent dans ce dernier cas le temps passé à extraire les données à prix « coûtant », sans chercher à en faire une activité commerciale. La loi française prévoit un tel cas de figure mais, dans les faits, les administrations se refusent souvent à tout effort pour extraire et transmettre les données.

Planifier

N’attendez pas d’avoir épuisé tous les recours possibles pour faire une requête d’informations publiques. En France et auprès des institutions de l’Union européenne, un simple email suffit pour entamer une procédure de requête. Dès que vous sentez que votre interlocuteur dispose d’une information intéressante, envoyez-lui un email !

Lire la loi

En France, la loi encadrant l’accès aux données publiques n’est pas nouvelle : elle date de 1978 ! La trentaine d’articles de la loi Cada est assez claire et facile à lire. Pour faire simple, la loi dispose que l’ensemble des documents produits par l’administration sont communicables. Les exceptions concernent bien sûr tout ce qui peut porter atteinte à la sécurité de l’Etat et les documents relatifs à des affaires en cours.

La loi couvre aussi les entreprises lorsque celles-ci effectuent une mission de service public, dans la mesure où les documents demandés sont relatifs à ladite mission. Attention en revanche : les documents produits par ces établissements peuvent être consultés mais pas réutilisés (ni publiés).

Une législation similaire existe au niveau des institutions de l’Union européenne, c’est le règlement 1049/2001.

Dire que l’on a lu la loi

Le plus souvent, les fonctionnaires ne connaissent pas l’existence de la loi Cada. Certains imaginent mal être légalement obligés de partager les documents en leur possession et refusent fréquemment tout dialogue. Rappeler l’existence de la loi permet souvent de changer leur attitude.

Par ailleurs, même si la mention de la loi n’est pas requise dans les emails, il est préférable de la rappeler et de mentionner clairement que l’objet de votre email est une requête d’informations publiques.

Envoyer des e-mails

La loi précise que l’administration doit elle-même faire suivre une demande, si elle n’est pas adressée directement à la bonne personne. Vous pouvez très bien envoyer des emails à n’importe quelle adresse @interieur.gouv.fr pour obtenir les données concernant une préfecture, par exemple. (Dans les faits, il vaut mieux cibler ses demandes.)

Une fois l’email envoyé, mettez-vous un rappel dans votre agenda ! Une administration française a 30 jours calendaires pour répondre, une administration européenne, 15 jours ouvrés. Les administrations répondent très rarement à ces demandes, mais l’absence de réponse passé ce délai vaut refus.

Demander les données brutes

Souvent, les administrations refusent de communiquer une information au prétexte que les données sont déjà disponibles en ligne. Et tant pis si elles sont agrégées, tronquées ou si elles sont au format PDF. La loi précise que les données ne peuvent être exigées si elles ont déjà été publiées. Mais la jurisprudence de la Cada sur ce point n’est pas claire. Elle accepte parfois que des données lisibles par ordinateur soient considérées comme étant différentes des données lisibles par des humains (et donc exigibles de auprès l’administration), mais parfois non.

Saisir la Cada

Passé le délai légal, vous pouvez saisir l’instance de médiation. En France, c’est la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Au niveau communautaire, c’est le médiateur européen.

Vous pouvez saisir la Cada en faisant suivre les emails envoyés aux administrations. Il vous suffit de recopier en introduction le modèle de lettre de saisie fourni par la Cada. La procédure est gratuite mais la Cada ne communique en retour que par voie postale.

Communiquer

Ne pas trouver les données, c’est aussi une histoire que l’on peut raconter. Cela peut permettre de fédérer d’autres journalistes ou citoyens à la recherche des mêmes données, ou inciter l’administration cible à respecter la loi.

Si vous avez obtenu les données, vous pouvez, si vous en avez légalement le droit, les publier sur un site de partage de données comme NosDonnées.fr.

Aller au tribunal administratif

Une fois que la Cada a rendu son avis, vous pouvez recontacter l’administration à qui vous avez fait la demande. Cette dernière n’est toutefois pas obligée de communiquer les données et les transmet rarement à des journalistes.

La dernière possibilité est alors d’aller au tribunal administratif. Mais à ce jour, aucun média n’a été jusque-là.

Nicolas Kayser-Bril, Journalism++

Utiliser des demandes d’accès à l’information pour comprendre les dépenses publiques

J’ai utilisé des demandes d’accès à l’information de plusieurs manières différentes pour couvrir COINS, la plus grosse base de données britannique officielle sur les dépenses publiques, le budget et autres informations financières. Au début de l’année 2010, on disait que si George Osborne devenait chancelier de l’Échiquier (ministre en charge des Finances et du Trésor), il publierait la base de données COINS pour améliorer la transparence du Trésor public. À l’époque, il paraissait judicieux d’étudier la structure de COINS, alors j’ai envoyé plusieurs demandes, une pour le schéma de la base de données, une pour les consignes données aux employés du Trésor qui travaillent avec COINS, et une dernière pour le contrat liant le Trésor au gestionnaire de la base de données.

J’ai également demandé à recevoir tous les codes de dépense utilisés dans la base de données, qui ont eux aussi été publiés. Nous avons ainsi pu nous faire une bonne idée de COINS avant que George Osborne ne devienne chancelier en mai 2010 et ne publie la base de données, en juin 2010. La base de données COINS a été utilisée par de nombreux sites web incitant le public à analyser les données – notamment OpenSpending.org et le Coins Data Explorer du Guardian. Après vérification, il s’est avéré qu’il manquait une grande partie de la base de données : le Whole of Government Accounts (WGA), 1 500 comptes d’organes au financement public. J’ai demandé à recevoir les données du WGA de 2008/09, en vain. J’ai également demandé le rapport d’audit indépendant du WGA – avec lequel j’espérais comprendre pourquoi le WGA n’était pas en état d’être publié. Cela m’a également été refusé.

En décembre 2011, le WGA a été publié dans la base de données COINS. Cependant, je voulais m’assurer qu’il y avait suffisamment d’explications pour établir la comptabilité complète des 1 500 organes inclus dans l’exercice WGA. Ce qui m’amène à la deuxième façon dont j’ai utilisé les demandes d’accès à l’information : pour m’assurer que les données publiées au titre de la transparence sont bien expliquées et contiennent ce qu’elles doivent contenir. J’ai déposé une demande pour obtenir la comptabilité complète de chaque organe public inclus dans le WGA.

Lisa Evans, The Guardian