Créations d’applis à Rue89
À celui qui cherche de nouvelles façons de mettre en scène l’information, le numérique offre une infinité d’outils attirants et accessibles. Mais au quotidien, concevoir et réaliser une « application » 1 se révèle souvent complexe et chronophage, au point que l’exercice rebute beaucoup de rédactions, qui concentrent alors leurs efforts sur le flux quotidien d’articles à publier.
À Rue89, nous avons été très vite séduits par la possibilité d’utiliser, plutôt que le simple texte éventuellement associé à une (ou plusieurs) photo(s), des modules avancés. Au printemps 2007, alors que le site venait d’être lancé, je publiais ainsi « Dix façons de voir le gouvernement Fillon », qui reprenait la photo officielle de la nouvelle équipe, le visage de chaque ministre entouré d’un cercle dont la couleur variait selon plusieurs critères : couleur politique, âge, passage ou non par l’ENA, statut marital… La réalisation était artisanale (des images statiques réalisées dans Adobe Illustrator et empilées les unes sur les autres) et le résultat perfectible, mais l’ensemble était assez convaincant pour nous encourager dans cette voie.
Cinq ans plus tard, nouvelle présidentielle, nouveau gouvernement. Deux heures à peine après l’annonce de sa composition, nous mettons en ligne une application simple, belle et efficace permettant de « faire connaissance » avec les nouveaux ministres : en un clic, le lecteur peut filtrer la liste officielle en fonction de différents critères, les ministres concernés étant mis en surbrillance. Carton d’audience, notamment grâce aux reprises sur les réseaux sociaux, apparus ou montés en puissance entre-temps.
Entre ces deux événements, l’équipe s’est organisée pour publier de telles mises en forme avancées à peu près toutes les semaines et simplifier autant que possible leur fabrication. L’objectif est de limiter les délais (et donc les coûts) et de ne pas décourager les rédacteurs que ces nouvelles écritures intéressent, mais dont l’enthousiasme se refroidit quand leur mise en œuvre devient trop complexe.
Quelques principes se sont peu à peu imposés. Nous tâchons par exemple d’associer étroitement nos développeurs au travail de conception. Lorsqu’un rédacteur estime que le sujet sur lequel il travaille offre la matière à une « appli », j’expose très vite son projet à l’un de nos « techos », qui cherche une solution technique adaptée et facile à mettre en œuvre. Bien souvent, les outils qu’il va proposer vont obliger le rédacteur à modifier son idée originelle. Commence alors une série d’allers et retours où chacun s’efforce de faciliter le travail de l’autre : le journaliste préparera par exemple les données utilisées de façon structurée (généralement une feuille de calcul Google Documents, ce qui permet de travailler facilement à plusieurs lors de l’étape fastidieuse de la saisie) ; le programmeur modifiera ses scripts pour ajouter des options non prévues au départ. Travailler en ping-pong permet aussi de limiter les risques de transformer une idée intéressante en « usine à gaz », ce qui arrive souvent si le journaliste phosphore sur la conception seul dans son coin ou si le développeur assure la réalisation sans que des temps de dialogue ne ponctuent son travail. Quand c’est possible, nous réutilisons des éléments de travaux déjà publiés – avec le temps, nous nous sommes constitué une série de gabarits dans laquelle piocher pour présenter des tableaux, des live-bloggings enrichis, des cartes… Le résultat peut alors être en ligne en un temps record.
Avec l’expérience, nous avons mieux pris conscience de l’importance du visuel, et nous nous efforçons de « lécher » davantage le rendu de nos productions : dès que c’est possible, notre photographe et iconographe intervient tout au long de ces projets. Ensemble, nous avons suivi une formation sur les possibilités du HTML5, et réalisons de plus en plus souvent nous-mêmes les feuilles de style CSS voire les scripts JQuery. Nos designs reprennent parfois les codes visuels de la maquette du site, ou au contraire s’en détachent lorsqu’on souhaite créer un univers particulier. Pour les plus gros projets, le studio Upian, partenaire historique de Rue89, est mis dans la boucle, livre des visuels et assure parfois leur intégration. Ce fut le cas pour « La guerre du Web », une grande infographie interactive décrivant les stratégies d’Apple, Facebook, Google et Microsoft pour contrôler nos vies numériques.
Autre évolution : le souci d’améliorer la prise en main de nos travaux par l’internaute, dès lors qu’ils contiennent une part d’interactivité. Ça peut passer par un écran d’introduction présentant brièvement l’application, par une ligne de mode d’emploi mise en évidence ou par une infobulle ouverte par défaut au chargement d’une carte interactive. Le but : éviter à tout prix qu’un internaute trop pressé ne rate l’essentiel d’un contenu – en la matière, l’expérience nous a appris qu’on n’était jamais assez explicite.
Yann Guégan, Rue89
[1] À Rue89, ce terme désigne une infographie, une carte interactive, un diaporama avancé, un tableau enrichi... bref tout ce qui n’est pas réalisable directement depuis l’éditeur Wysiwyg des articles. Les « applis » sont généralement affichées dans un iframe (un élément HTML qui permet d’insérer une page web dans une autre) sur toute la largeur de l’écran.