Datajournalisme au Zeit Online
Le projet de comparaison des richesses basé sur le programme PISA est une visualisation interactive permettant de comparer le niveau de vie dans différents pays. Il exploite les données du rapport de l’OCDE sur le classement mondial des systèmes éducatifs, PISA 2009, publié en décembre 2010. Ce rapport est basé sur un questionnaire demandant à des élèves de 15 ans de détailler leurs conditions de vie à domicile.
L’idée était d’analyser et de visualiser ces données pour offrir un moyen unique de comparer le niveau de vie de différents pays.
Tout d’abord, notre équipe éditoriale interne a déterminé les faits qu’il semblait utile de visualiser pour rendre les niveaux de vie comparables, notamment :
- possessions matérielles (nombre de TV, de voitures et de salles de bains à domicile) ;
- situation familiale (grands-parents vivant avec la famille, pourcentage de familles avec un seul enfant, chômage des parents et statut professionnel de la mère) ;
- accès à des sources de connaissance (Internet à domicile, fréquence de l’utilisation du courrier électronique et quantité de livres possédée) ;
- trois indicateurs supplémentaires sur le niveau de développement de chaque pays. Avec l’aide de l’équipe de design interne, ces faits ont été traduits en icônes explicites. Une interface a été développée pour pouvoir comparer les différents pays comme s’ils étaient des cartes à jouer.
Nous avons ensuite contacté l’Open Data Network allemand pour trouver des développeurs qui pouvaient nous donner un coup de main sur ce projet. On nous a suggéré que Gregor Aisch, un talentueux designer de l’information, se charge de coder l’application de nos rêves (sans utiliser Flash, ce qui était primordial pour nous !). Gregor a créé une excellente visualisation interactive avec un magnifique style en bulles, basée sur la librairie Raphaël (en Javascript).
Le fruit de notre collaboration a rencontré un vif succès. La visualisation permet de comparer facilement plusieurs pays, ce qui en fait un excellent outil de référence. Nous pouvons ainsi la réutiliser dans notre travail éditorial quotidien. Par exemple, si nous publions une histoire sur les conditions de vie en Indonésie, nous pouvons rapidement intégrer un graphique comparant les niveaux de vie en Indonésie et en Allemagne. Le transfert de savoir-faire à notre équipe interne était un excellent investissement pour l’avenir.
Au Zeit Online, nous avons constaté que nos projets de datajournalisme nous apportaient beaucoup de trafic et de nouvelles façons de communiquer avec notre lectorat. Par exemple, il y a eu une énorme couverture de la situation de la centrale nucléaire à Fukushima suite au tsunami qui a frappé le Japon. Quand des matériaux radioactifs ont commencé à s’échapper de la centrale, les habitants ont été évacués dans un rayon de 30 kilomètres. Tout le monde pouvait assister en direct aux évacuations. Le Zeit Online a trouvé un moyen innovant d’expliquer l’impact de cette catastrophe au public allemand. Nous nous sommes demandés : combien de personnes vivent à proximité d’une centrale nucléaire en Allemagne ? Et dans un rayon de 30 kilomètres ? Une carte montre le nombre de personnes qui devraient être évacuées dans une situation similaire en Allemagne. Le résultat : beaucoup, beaucoup de trafic. En fait, le projet a connu une diffusion virale sur les réseaux sociaux. Comme les projets de datajournalisme sont relativement faciles à adapter à d’autres langues, nous avons créé une version en anglais sur les centrales nucléaires aux États-Unis, ce qui a fait exploser le trafic. Les organisations de presse veulent être reconnues comme des sources fiables et crédibles par leurs lecteurs. Nous constatons que les projets de datajournalisme qui permettent à nos lecteurs de visualiser et de réutiliser des données brutes contribuent sensiblement à améliorer notre crédibilité. Pour Wolfgang Blau, responsable du service de R&D et rédacteur en chef du Zeit Online pendant deux ans, le datajournalisme est un moyen de raconter des histoires qui revêt une importance particulière. Transparence, fiabilité et implication de l’utilisateur sont d’importants préceptes de notre philosophie. C’est en cela que le datajournalisme est une part naturelle de notre travail actuel et futur. Les visualisations de données peuvent améliorer la réception d’une histoire et sont une façon attrayante de présenter le contenu pour toute l’équipe éditoriale.
Par exemple, le 9 novembre 2011, la Deutsche Bank a déclaré qu’elle cessait de financer les fabricants de bombes à fragmentation. Mais d’après une étude réalisée par l’organisation à but non-lucratif Facing Finance, la banque allemande a continué d’octroyer des prêts à des producteurs de munitions à fragmentation après avoir fait cette promesse. Notre visualisation basée sur les données en question présente les divers flux d’argent à nos lecteurs. Les différentes branches de l’entreprise Deutsche Bank sont alignées au sommet, et les entreprises accusées d’être impliquées dans la construction de munitions à fragmentation sont en bas. Entre les deux, chaque prêt est représenté le long d’une frise chronologique. On peut afficher les détails de chaque transaction en plaçant le curseur sur l’un des cercles. Bien sûr, l’histoire aurait pu être racontée sous la forme d’un article écrit. Mais la visualisation permet à nos lecteurs de comprendre et d’explorer les liens financiers de façon plus intuitive.
Pour prendre un autre exemple, l’office allemand de la statistique, le Statistisches Bundesamt, a publié une excellente base de données à partir de statistiques d’état civil, comprenant notamment la modélisation de divers scénarios démographiques jusqu’en 2060. La représentation classique est une pyramide des âges, comme celle produite par l’office allemand.
Avec nos collègues du service scientifique, nous voulions offrir un meilleur moyen d’explorer ces projections démographiques à nos lecteurs. Avec notre visualisation, nous présentons un groupe statistiquement représentatif de 40 personnes d’âges divers depuis les années 1950 jusqu’en 2060. Elles sont classées en huit groupes différents. Cela ressemble à une photo de groupe de la société allemande à plusieurs époques. Les mêmes données visualisées sous la forme d’une pyramide des âges traditionnelle ne donnent qu’un sentiment très abstrait de la situation, mais en montrant un groupe d’enfants, de jeunes gens, d’adultes et de personnes âgées, nos lecteurs se retrouvent plus facilement dans les données. Il vous suffit d’appuyer sur le bouton lecture pour faire un voyage de 11 décennies. Vous pouvez également saisir votre année de naissance et votre sexe pour faire partie de la photo de groupe : voir votre chemin démographique à travers les décennies et connaitre votre propre espérance de vie.
Sascha Venohr, Zeit Online